Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil
HISTOIRE D’UN VOYAGE FAIT EN LA TERRE DU BRÉSIL. Récit de voyage de Jean de Léry (1534-1613), publié à Genève chez Antoine Chuppin en 1578.
Synopsis
Léry s’embarque pour le Brésil avec les colons dépêchés par Calvin et Coligny pour renforcer l’établissement fondé par le chevalier de Villegagnon en 1555 dans la baie de Rio. Il note, outre les incidents et les découvertes qui émaillent la traversée, le froid accueil que Villegagnon, plus papiste qu’il ne sied, réserve aux envoyés de Genève et les querelles théologiques sur l’eucharistie qui s’élèvent sur les rivages du Nouveau Monde (chap. 1-6). L’essentiel du récit est néanmoins consacré à la description du Brésil (7-13) et des mœurs tupinamba: guerre, cannibalisme, mariage, «loix et police civile», rites de sépulture, colloque en «langage sauvage» (14-20). Le retour aventureux (21-22) sur un navire «tout vieux et rongé de vers», où les passagers connaissent une cruelle famine, justifie la louange adressée par Léry au Dieu «qui fait mourir et vivre».
Critique
Pasteur protestant, Jean de Léry n’a cessé d’affirmer qu’il s’était résolu à publier la relation de son voyage en «France antarctique» (d’où il était revenu en 1558) pour répondre aux accusations qu’André Thevet avait formulées, dans sa Cosmographie universelle (1575), contre les réformés qu’il rendait responsables de l’échec de la colonie brésilienne. L’Histoire d’un voyage […] constitue de fait une pièce fondamentale de la polémique sur les établissements protestants au Nouveau Monde — et les modifications apportées par l’auteur à l’édition de 1585 confirment cet aspect de la relation lérienne. Ce n’est pas à ce titre, bien sûr, que l’ouvrage doit d’être mis au rang de «bréviaire de l’ethnologue» par Claude Lévi-Strauss. En effet, l’œil attentif du voyageur s’applique à la description des mœurs tupinamba: cérémonies funèbres, beuveries rituelles, organisation sociale ou encore fête anthropophagique; l’oreille retient autant que faire se peut les sonorités d’un langage inconnu. Cependant — et c’est la dimension la plus attachante du texte —, Léry, ravi par le souvenir de l’«excursion brésilienne» (F. Lestringant), nuance le tableau américain des couleurs de la nostalgie. Le voyageur, retourné dans une France où sévissent les conflits religieux, devine dans «nos Ameriques» les héritiers de l’âge d’or. L’Indien tend à l’Europe le miroir de ses regrets. Elle y plongera pour longtemps son regard captif des rêves d’innocence qu’incarne ce Bon Sauvage entré en littérature avec Jean de Léry, et dont Michel de Montaigne, dans «Des cannibales» (Essais, I, 31) et «Des coches» (id., III, 5) achèvera bientôt de camper la figure.
M.-C. GOMEZ-GÉRAUD
Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty. « Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française. » © Bordas, Paris 1994