Les frères Cros, Antoine (1833-1903), médecin, Henry (1840-1907), peintre, verrier, et Charles (1842-1888), poète et inventeur, participent activement à la vie scientifique et artistique de la fin du XIXe siècle. Charles, cheveux frisottés, moustache rebelle, incorrigible curieux, étudie le sanskrit, l’hébreu, la musique, les mathématiques, la littérature et les sciences, toujours en quête d’inventions. Dès 1867, il divulgue sa mise au point du télégraphe automatique, et présente en 1869 un procédé de photographie* en couleurs. Les trois frères fréquentent les clubs parisiens, les dîners des Vilains Bonshommes*, le Cercle des poètes zutiques*, les Hydropathes, les poètes du Chat Noir… tout un monde en perpétuelle effervescence qui constitue l’avant-garde créatrice de l’époque. Pendant la Commune*, les trois frères s’engagent au côté des insurgés, dont Charles au 249e bataillon de la Garde nationale. Verlaine* fait la connaissance des Cros au salon mondain de la très en vue Nina de Villard de Callias, égérie dont Charles devient l’amant. En septembre 1871, ce dernier accompagne Verlaine gare de Strasbourg pour accueillir Rimbaud… qu’ils ratent. Au domicile du couple Verlaine, chez les beaux-parents Mauté de Fleurville, l’Ardennais malotrus s’impose et indispose. Cros alors l’héberge, et organise même une souscription en sa faveur :
J’ai logé Arthur Rimbaud, je le nourrissais à mes frais. Banville* a apporté chez moi pour ledit Rimbaud des lits, matelas, couverture, draps, toilette, cuvette, etc. […]. Pelletan, Verlaine, Blémont et moi, nous donnons chacun quinze francs par mois.
En 1877, et bien avant Thomas Edison, Charles Cros présente à l’Académie des sciences le projet d’un appareil de reproduction des sons, ancêtre du phonographe, le « paléophone », dont Alphonse Allais atteste le bon fonctionnement. Le brillant inventeur Cros aime aussi taquiner la muse et publie ses premiers poèmes dans Le Parnasse contemporain*. Son œuvre poétique se résume, pour l’essentiel, à deux recueils : Le Coffret de santal (1873), et Le Collier à griffes (1903) publié à titre posthume. Usé par l’alcool, il s’éteint en 1888, et laisse son nom attaché à une importante distinction artistique : depuis 1948, l’académie Charles-Cros décerne chaque année des grands prix du disque qui récompensent des œuvres musicales enregistrées dans le domaine de la chanson, de la musique classique, populaire, jazz, ainsi que des ouvrages de musicologie.