Originaire de Douai*, Paul Demeny (1844-1918) décide très tôt de vivre de sa plume et, à cette fin, s’établit à Paris. Poète et dramaturge, codirecteur de la Librairie artistique, il autoédite en 1870 son premier recueil, Les Glaneuses. La même année, durant les vacances d’été, Rimbaud, qui n’a pas 16 ans, découvre chez son professeur de rhétorique Georges Izambard* les vers du poète douaisien. Il est devenu une relative gloire régionale, entre autres grâce à sa pièce La Flèche de Diane, créée en mars dans sa ville natale. Ses fonctions d’éditeur lui confèrent une aura à laquelle Rimbaud, avide d’être publié, n’est pas insensible, même s’il apprécie peu Les Glaneuses : « Oui, j’ai relu ce volume ! – puis ce fut tout ! », confie-t-il, désinvolte, à Izambard. La grande histoire s’accélère avec, le 4 septembre 1870, la déchéance de l’empereur et la proclamation de la IIIe République. Ce même mois, puis à l’automne, Rimbaud remet à Demeny vingt-deux poèmes réunis depuis sous le titre Cahiers de Douai, ou encore de Recueil Demeny. Long silence. Rimbaud le brise par sa « Lettre du Voyant », du 15 mai 1871, manifeste poétique essentiel à la pensée rimbaldienne.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
Restée lettre morte, elle en appelle une autre, du 10 juin 1871 : « Brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai. » Demeny ne les brûle pas. En 1887, il les vend même à l’écrivain Rodolphe Darzens.
Journaliste dans plusieurs quotidiens et périodiques, Paul Demeny écrit en parallèle des romans et pièces de théâtre dont l’une, L’Âme de Racine, est jouée en 1892 à la Comédie-Française. La littérature ne retient rien de son œuvre. Seul son nom demeure illustre pour avoir été destinataire des Cahiers de Douai et de la « Lettre du Voyant ».