« Je suis un piéton, rien de plus. » Depuis qu’il écrit ces lignes en 1871, Rimbaud ne cesse de marcher. De Charleville (→ Charlestown) à Paris, de Roche* à Gênes, avec ses caravanes en Abyssinie* sur des centaines de kilomètres éreintants, par des sentiers trop étroits pour rester à cheval, il marche. Début 1891 à Harar*, il souffre de cette « maudite jambe ! », la droite. Des rhumatismes ? Le climat ? Une chute de cheval qui lui aurait luxé le genou ? Une épine s’y serait logée, disent les bien-informés. Certaines nuits, il ne peut fermer l’œil tant la douleur est vive. Il enserre sa jambe dans une bande et, le 20 février 1891, commande à sa mère des bas de contention. « Il faut que ce bas monte par-dessus le genou, car il y a une varice au-dessus du jarret ». Bas inutiles qui n’améliorent rien. Les jours passent, le genou enfle, la souffrance devient insupportable. Un véritable supplice. Il liquide ses affaires, fait préparer une civière, et le 7 avril 1891 l’équipée des seize porteurs quitte la ville à 6 heures du matin. Trois cents kilomètres, douze jours de désert, traversée du Golfe… Il parvient à Aden, où le médecin diagnostique une synovite aiguë, très avancée, trop avancée. Il parle déjà d’amputation. Rimbaud ne peut bouger, ne parvient pas à dormir, à terre comme à bord du vapeur l’Amazone qui l’emporte à Marseille*. À l’hôpital de la Conception de la cité phocéenne, on lui confirme la mutilation inévitable. « Que je suis donc devenu malheureux. » Il souffre comme jamais. Sa mère accourt : il est méconnaissable. Douze ans d’absence, auxquels s’ajoutent l’épuisement et la maladie qui l’ont terriblement changé. On l’opère. La jambe est coupée au-dessus du genou. Il se désespère : être unijambiste, si jeune, alors que tant de projets l’attendent. Quelques jours à son chevet, Vitalie n’est plus la Daromphe mais la mère nourrice, la mère amour, la maman. Elle repart à Roche où elle prépare la chambre de son fils. Le 23 juillet 1891 il arrive, et on l’accueille chaleureusement pour une convalescence qui s’annonce ouatée. Hélas, il est là depuis un mois, les douleurs du genou-moignon reprennent et deviennent plus insoutenables que l’ennui. Le 24 août 1891, l’homme* aux semelles de vent retourne à Marseille pour en finir avec ce genou qu’il a peu plié pour prier. « Notre vie est une misère… Pourquoi donc existons-nous ? »